LES PRIMAIRES SOCIALISTES (TER) ET MICHEL ROCARD
Pour clore la saga des primaires socialistes dont on trouvera toutes les analyses dans les deux précédents articles consacrés à cet événement national (!), je tenais à souligner à quel point je confirme tout ce que j’ai pu en dire et je reste consterné par la légèreté avec laquelle une grande partie des médias ont entonné l’air de la victoire.
Le fondement et les modalités de ces primaires posent question et la mobilisation, certes très importante pour ce type d’initiative, ne doit pas faire oublier dans ce concert de louanges que c’est finalement 5% environ de l’électorat français qui s’est déplacé, et encore, puisque l’on a appris que les étrangers pouvaient voter ainsi que les jeunes de moins de 18 ans. On est vraiment dans le bricolage jusqu’au bout.
Quant aux fichiers électoraux utilisés pour ce scrutin, on nous annonce pratiquement une semaine plus tard (!) qu’ils vont être détruits… La protection de la liberté d’opinion est bien menacée, n’en déplaise aux ténors socialistes scandant leur bonne foi, que l’on veut bien reconnaître en ce qui les concerne, mais nul ne sait comment la pratique des milliers de bureaux de vote a permis de la garantir dans les faits.
Enfin, concernant la couverture médiatique, il n’est pas besoin d’y revenir tant les admonestations du CSA confirment nos appréhensions; CSA qui avait pourtant averti les chaînes du risque de dérive. Mais là non plus les critiques ne sont plus audibles… en tout cas pour l’instant.
Espérons que lorsque les commentateurs auront repris leurs esprits, des analyses un peu plus sérieuses seront proposées pour permettre de tirer des enseignements plus objectifs de cette expérience. Je me permets de saluer d’ailleurs dans ce tsunami de gauche quelques récifs encore visibles avec les Verts et le Front de gauche qui ont peu goûté ce tonnerre médiatique assourdissant les empêchant eux aussi de s’exprimer de manière démocratique. Comme quoi l’on peut toujours trouver des terrains d’accord même si de prime abord ce n’était pas évident…
Mais que vient faire Michel ROCARD dans cette galère ? Quelle curieuse association d’idées que de le mettre à cette sauce des primaires. En fait, je passe un tour et me reporte désormais vers le candidat désigné du Parti socialiste (ou de ceux qui prônent les « valeurs de gauche », on ne sait plus), j’ai nommé François HOLLANDE. Ce que j’ai retenu des commentaires d’ailleurs parfois acerbes de son propre camp, c’est que François MITTERRAND était semble-t-il son modèle. On se demande parfois si les français ont la mémoire si courte ? Un ange à la mine bien sombre passe…
Fidèle à mon souhait d’un débat démocratique qui contribue à l’éclosion des meilleures solutions pour la France, permettez-moi de souhaiter que le modèle de François HOLLANDE soit plutôt Michel ROCARD.
Je crois que malheureusement, dans les trois décennies qui viennent de s’écouler, nous avons raté deux grands hommes d’Etat si tant est que les français leur aient fait confiance. A gauche, Michel ROCARD. Je crois que c’était vraiment un homme politique qui était, même si je n’entends pas ici me placer sur le plan des idées car des divergences apparaîtraient nécessairement, un véritable homme d’Etat voué tout entier à la réussite de son pays. A droite, je pense à Raymond BARRE, pour lequel j’ai une pensée émue car au sortir de mes études, il est celui qui m’a fait découvrir la « politique raisonnée » (en particulier avec ses lettres « Faits et Arguments » que je buvais comme du petit lait, moi qui était alors un fervent chiraquien capable cependant, de manière étonnante pour certains peut-être, de ne pas voir en Giscard un être abominable). C’est à ce moment-là que j’ai compris que je n’étais pas fait pour subir le poids d’une étiquette politique qui vous ravale au rang de robot prônant mécaniquement telle idée lorsque cette idée est celle du camp affiché sur cette étiquette.
Mais revenons à Raymond BARRE qui a raté sa transformation de l’essai en 1988 alors qu’il en avait toutes les qualités. Comme je l’avais écrit dans un mémoire de sciences politiques (pour ceux que cela intéresserait – « Raymond BARRE ou l’année A-1 » [A-1 signifiant A moins un, le mémoire ayant été rédigé en 1987, un an avant l’élection présidentielle ; clin d’œil à mes examinateurs, M. Yves MENY notamment, qui ont fait mine à l’époque de ne pas comprendre ce mélange de mathématiques et de français, ce qui me semblait aller de soi, ayant poursuivi quant à moi une filière scientifique au lycée…] – 1988 - Paris II). Comme je le relevais alors, il a manqué deux ingrédients essentiels à cette réussite : le soutien efficace d’un parti politique et l’acceptation du recours à une véritable stratégie de communication. Exit donc le pauvre Raymond BARRE de ce destin présidentiel qui permettra à François MITTERRAND, pourtant désavoué massivement par les français deux ans plus tôt, de l’emporter au second tour devant Jacques CHIRAC.
Chacun sait que François MITERRAND s’employa alors à laminer son ex concurrent de la course à l’élection présidentielle en 1981, Michel ROCARD, pour lui faire mordre la poussière, tout premier ministre qu’il l’avait nommé. Ce talent-là, certes, on peut le lui reconnaître (ne croyez pas que je ne retiens tout de même aucun élément positif - au premier rang desquels, par exemple, le courage d’avoir su se renier en 1983 après la politique économique catastrophique, digne du soviet suprême, engagée en 1981 - de même, dans la crise des missiles opposant notamment la France à l’Union soviétique, François MITERRAND saura montrer dans quel camp il était tout de même).
Et si j’ai osé cette association d’idées avec Michel ROCARD, en dehors du fait qu’il semblerait que François HOLLANDE se soit trompé de modèle selon moi, c’est parce que j’ai eu l’occasion d’assister à une conférence donnée récemment par l’ancien Premier Ministre à l’ESSEC. Pur moment de bonheur, et si le personnage est un peu cabotin, on peut assurément être certain que l’on a affaire à un homme d’une grande intelligence et possédant une parfaite connaissance des ressorts économiques du monde et de l’architecture politique et sociale de notre pays. On savoure plus particulièrement les moments où il annonce se dissocier de ses amis socialistes pour mieux nous brosser la politique qu’il conviendrait de mettre en œuvre. J’avoue que je n’aime pas considérer qu’une personne âgée (autrefois on disait vieux, c’était plus parlant sans nécessairement être péjoratif – on attend le moment où il faudra remplacer le terme « personne âgée » parce qu’il aura une connotation péjorative…) a nécessairement raison, comme je ne considère pas que la jeunesse détient nécessairement la vérité, mais force est de constater que l’expérience accumulée au plus haut niveau par cet homme politique, doublée d’une capacité à élaborer des raisonnements rigoureux et, si j’osais, objectifs, m’incite à pouvoir parler d’un homme doté d’une vraie vision des solutions d’avenir. Je recommanderais donc d’en profiter avant que l’âge, malheureusement, n’altère, comme cela nous arrivera à tous, les facultés qui sont celles de ce grand homme (en hommage à la belle formule républicaine : « aux grands hommes la patrie reconnaissante »).
Un temps fort dans cette conférence a été constitué par l’interprétation que Michel ROCARD a faite sur le plan historique des conséquences de La Commune en tant que mise en sommeil de la négociation patronat-syndicat aboutissant selon lui au réveil révolutionnaire et anarchiste dans les 30 à 50 ans qui ont suivi, ce qui a façonné notre histoire politique du XXième siècle. C’était un temps fort car, même si j’avoue volontiers ne pas être en mesure de l’exprimer avec la même précision des faits historiques, il m’a toujours semblé que le XIXème siècle avait vu les excès du patronat fabriquer les réactions syndicales et politiques qui s’en sont suivies. Et j’allais jusqu’à dire dans une tribune au milieu des années 1990 (publiée sur le blog de l’ARDP) que nous aurions tort de croire que la chute du mur de Berlin en 1989 avait anéanti à jamais l’illusion d’un idéal collectiviste salvateur. J’aspirais alors à la mise en œuvre d’une réflexion cohérente et ambitieuse pour faire en sorte que le capitalisme, qui semblait en fait le grand vainqueur de ce combat de titans entre le bloc occidental et le bloc de l’est, ne soit pas érigé comme une fin en soi mais comme un moyen d’aller vers une issue qu’il nous appartenait de définir afin que chacun se sente porté vers ce chemin ainsi tracé et ait le sentiment d’y trouver un sens pour sa vie et pour la vie de manière générale. Je ne dis pas que ce travail n’a pas été fait mais je constate tout de même, sans revenir sur mes précédents propos, que l’on a plutôt assisté à un défoulement capitalistique qui prête légitimement le flanc aux critiques des observateurs les plus sensés et provenant parfois des plus chauds partisans du développement économique, en tout cas pour autant que celui-ci se trouve être au service d’une certaine vision de l’homme et de la civilisation qu’il incarne. Nous en payons aujourd’hui lourdement les conséquences.
La boucle est donc bouclée. Que ce nouveau candidat socialiste puisse donc porter un projet constructif et favoriser le débat démocratique pour tenter d’apporter les réponses dont notre pays a besoin afin de sortir de la crise économique que nous traversons et dessiner une voie sur laquelle nous pourrions nous engager. Pour ce qui me concerne, il est clair que le projet socialiste en est pour l’instant bien éloigné…
A bon entendeur salut.
Patrick CLEMENT
Boulogne, le 23 octobre 2011