LE SYNDROME DE LA GIRAFE
Bien que chaque génération ait le sentiment de vivre une rupture avec la précédente, il faut bien reconnaître que notre monde contemporain a atteint de ce point vue une sorte de paroxysme, sans présager ce qui pourrait arriver dans la suite de notre histoire humaine bien entendu.
Ce qui est le plus étonnant, voire le plus inquiétant, c'est la conjonction de deux phénomènes jamais vécus jusqu'à présent me semble-t-il. D'une part, l'écart sidéral existant entre certaines de nos sociétés à travers le monde, et plus précisément, certaines populations, parfois au sein d'un même pays et, d'autre part, le fait que le brassage des cultures dans une mondialisation consentie se superpose à une interconnaissance exacerbée s'appuyant sur des médias désormais observateurs du local et du global.
En disant cela, j'ai bien conscience de ne pas révolutionner le monde de la pensée politique. Et pourtant, je ne suis pas sûr que chacun mesure bien les risques d'un tel écart que je qualifierai pour ma part de syndrome de la girafe laquelle, avec sa haute stature, impressionne et domine en scrutant un horizon lointain, mais qui, lorsqu'elle laisse aller son long cou vers le sol, effectue un écart de ses pattes antérieures droite et gauche qui ne va pas sans menacer son équilibre.
Chaque pays vit ces écarts comme il le peut et les Etats assument ces différences en tentant d'organiser sur le plan mondial les interventions favorisant les corrections nécessaires, à court, moyen et long terme. Tout cela, nous le vivons quotidiennement, même si chacun s'accorde à penser que la route sera longue, mais nous sommes en chemin. Par contre, je souhaiterais revenir plus spécifiquement sur ce qui m'inquiète du point de vue de notre monde occidental, car j'en suis un observateur attentif et le fait d'y vivre me permet de mieux le ressentir.
Notre société risque en effet le grand écart, et pour parler clair, l'effondrement, si elle ne s'atèle pas au défi qui lui est lancé par la coexistence de populations aux univers conceptuels diamétralement opposés. Ainsi, comment penser la coexistence entre ceux qui voient le progrès technologique notamment comme inhérent au développement de nos sociétés, de notre civilisation, et ceux qui se retrouvent derrière une ligne directrice portée par un spiritualisme qui peut aboutir à refuser d'accepter l'évolution du monde ?
En termes clairs, bien que raccourcis pour les besoins de l'exposé, une partie de la population a intégré l'idée que le sens de la vie passait par un progrès qui nous permettait de reculer les limites de la connaissance pour nous permettre d'approcher de la vérité, certes pas à pas et dans une perspective encore lointaine, mais acceptée comme telle. Vérité, c'est-à-dire connaissance du monde qui nous entoure, de nous même, et du plus petit des éléments au plus grand, fleuretant en cela avec le vertige de l'infini de l'univers. A cet idéal se trouvent rattachées les conditions d'une existence dont on se doit d'organiser le quotidien de telle manière que chacun puisse y trouver le plaisir de la connaissance, de la vie et le sentiment de participer à ce long cheminement de civilisation.
Et, en parallèle, pour ne pas les opposer puisque nous constatons leur coexistence, ceux qui voient Ia vie avec le prisme de leur religion. Prisme qui en soit ne constitue pas un obstacle au chemin précédemment évoqué, mais qui peut se heurter a cette vision progressiste partir du moment où le passé, tel que codifié par les humains, devient l'alpha et l’omega de la vie de ceux qui s'engagent dans cette voie. Ce consentement va se traduire par une vie encadrée par des rituels définis par les tenants de la religion invoquée, au nom de Dieu qui se trouve appelé en renfort pour légitimer telle ou telle manière de vivre par conséquent. Au nom de Dieu, tout se justifie lorsque l’on se prétend le gardien de l'orthodoxie. Nous avons connu cela hélas par le passé, au nom de Dieu, ou au nom d'autres dieux idéologiques ceux-là, avec les conséquences que l'on connait tous.
Ma crainte est de voir évoluer ces populations selon des axes qui s'écarteraient irrémédiablement l'un de l'autre. Alors que la spiritualité peut être érigée comme socle du sens de la vie, pour ceux qui pensent que notre existence se poursuit au-delà de cet épisode matériel sur terre, celle-ci devient un carcan pour contraindre, enfermer, diriger... Ces deux mondes en formation sont appelés a s'opposer si un effort considérable d'éducation n'était pas engagé afin que chacun reconnaisse et accepte l'autre pour autant que le modèle de civilisation patiemment constitué sous nos latitudes ne vole pas en éclat. Que ceux qui fondent leur existence sur la vérité, telle que celle-ci est établie par nos connaissances, tolèrent ceux qui, de par leur foi, sont persuadés qu'il y a plus que ce que nous savons voir aujourd'hui. Mais que ceux qui font de Dieu le chef d'orchestre de leur vie n'empêchent pas la recherche de la vérité par la vole de Ia Raison. Cela a déjà été dit, si Dieu existe, assurément, il ne peut pas vouloir s'opposer à ce que Ia vérité soit faite sur terre. II me semble que tous les prophètes, tous les penseurs religieux et tous les philosophes pourraient s'accorder sur ce postulat.
Or, il nous faut bien constater que nos sociétés européennes en particulier se sont ouvertes à de nouvelles populations de telle manière que celles-ci ne se sont plus trouvées en situation d'intégrer les principes de vie acquis patiemment et parfois douloureusement par notre civilisation. Par une arrivée massive, facilitée parfois de manière inconséquente, concentrée en certains points du territoire, l'intégration à nos valeurs n'est plus allée de soit. Or, si tout un chacun peut bien admettre que ces valeurs soient évolutives en fonction du mouvement de nos sociétés, il parait pour le moins regrettable que celles-ci soient remises en question sur la base de circonstances que nous avons déjà rencontrées et surmontées. A savoir l’intégration des croyances spirituelles dans un système républicain, laïque, qui permette à chacun de croire selon ses propres convictions sans remettre en cause le socle de vie commune qui rassemble les citoyens d'une Nation.
Ce serait un cruel retour en arrière que de céder à de telles pressions qui viendraient affaiblir, voire contrarier, l’évolution de notre civilisation. II nous faut au contraire faciliter Ia connaissance pour tous, du monde, de la vie, de l'univers, afin de permettre une prise de conscience salutaire de Ia part de ces nouveaux arrivants, qu'ils soient de première, de deuxième, de troisième... génération. Et cet effort est valable chaque jour et pour chaque génération au cours du temps, et quelles que soient les religions incriminées. Aujourd'hui musulmane, hier chrétienne, mais chrétienne encore aujourd'hui selon ce qui vient d'être évoqué, et toutes les autres. C'est un message civilisationnel qui vaut effectivement pour toutes les religions, même si l'histoire de notre pays en l'occurrence a gardé encore bien présentes les traces de ce débat. Chaque homme en naissant, chaque société en termes de génération se succédant, doit s'imprégner de ce défi pour savoir le relever.
L'éducation constitue donc, à travers l'école au sens large, mais aussi notamment notre information livresque ou médiatique, la seule arme de dissuasion massive contre les dérives qui nous mèneraient vers l'ignorance et l'enfermement. Le courage et la transparence doivent être les deux piliers de cette éducation par conséquent.
Le courage, car il nous revient de proclamer ces vérités sans se cacher toujours derrière des considérations apparemment sympathiques mais au fond néfastes. Lorsque, par exemple, l'on voit des enfants ou des adolescents, voire des hommes, se comporter comme des animaux sauvages, il faut avoir le courage de le dire. Quelle complaisance de la part de nos médias, de certains intellectuels, hommes politiques, ou français encore préservés de ces comportements, envers ces individus qui s'expriment avec un accent épouvantable et témoignent d'une vulgarité horripilante, qui crachent et qui sont revêtus de vêtements qui sont loin de les mettre en valeur... Non, il faut leur dire car c'est peut-être leur droit selon eux de se comporter ainsi, mais ensuite ils viendront s'étonner de ne pas trouver de travail et d'être rejetés. Et leur seul mot d'ordre sera de crier à l'injustice. Mais qui aurait envie d'embaucher de tels sauvageons. Le seul tort, c'est de ne pas le leur dire. Votre laideur morale inspire la crainte et le rejet. Ce n'est pas votre couleur de peau ou votre pays d'origine. Tous ceux qui ont compris cela sont arrivés à mener une vie normale car les hommes se jugent surtout par rapport à leur ressemblance respective, considérant qu'ils font alors partie d'un même groupe humain, sans considération de couleur de peau, encore une fois, de religion, ou d'origine culturelle.
La transparence, c'est aussi de faire connaître nos valeurs et de permettre à chacun de se reconnaître dans ces valeurs. Le débat sur le sens de la vie doit être porté sur la place publique. Quelle que soit sa religion, il convient de permettre à chacun, même s'il est peu disposé à le faire, d'avoir accès aux connaissances du monde qui permettent de mieux définir comment la religion se situe par rapport à ce monde réel. La transparence, c'est aussi de permettre à tous de se faire une juste opinion en fonction de faits avérés. Pour reprendre la notion de coexistence précitée, quelle est la réalité de ces flux migratoires, comment se concentrent-ils, quel est le degré d'avancement du communautarisme,... ? Rien ne serait pire que de ne pas faciliter une meilleure connaissance de ces bouleversements, notamment pour ceux qui n'y sont pas directement confrontés, car cela touche très fortement en priorité les zones urbaines. Le risque serait d'avoir des tensions difficilement contrôlables si la réalité se faisait jour brutalement, pour ceux en tout cas qui n'en ont pas encore une claire conscience. La crainte, c'est aussi de ne pas permettre à un débat de société tel que celui-là d'être tranché de manière démocratique, en toute connaissance de cause. Citoyen européen, il nous est arrivé de devoir partager cette condition de citoyen européen avec d'autres peuples, sans l'avoir décidé, et parfois sans même le vouloir. Citoyen français, il nous revient encore de dire avec qui et selon quel type de société nous voulons vivre. L'Europe à ce titre fait peur car elle ne semble pas favoriser un tel climat mais bien au contraire encourager le flou entretenu sur ces questions. L'enfer est pavé de bonnes intentions.
Le syndrome du grand écart de la girafe nous guette donc. Faisons en sorte de rétablir l'équilibre pour pouvoir regarder notre avenir loin devant, bien campé sur nos positions.
Patrick CLEMENT
Boulogne, le 27 novembre 2010