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ALLIANCE REPUBLICAINE DE PROGRES

« LA LIBERTE EST PLUS EXIGEANTE QUE LA CONTRAINTE »

21 Septembre 2012 , Rédigé par Patrick CLEMENT

 

Un film tournant en dérision Mahomet, des caricatures du prophète publiées dans un journal satirique…, dernièrement aussi, des mises en scène tendancieuses de Jésus…, sachons raison garder ! Qu’il me soit donné la possibilité de faire état de quelques vérités personnelles que je souhaiterais partager avec mes honorables lecteurs dont je remercie une fois de plus l’attention bienveillante.

 

Ne pouvant encore prétendre au statut de sage à mon âge, bien que la sagesse ne soit pas nécessairement proportionnelle au nombre des années, permettez-moi d’introduire mon propos par le récit d’un épisode de ma vie de père de famille confronté à la dure tâche de transmettre quelques principes d’éducation à ses enfants. Rassurez-vous, je serai bref. Confronté au caractère quelque peu rebelle de mon fils aîné qui, à l’adolescence…,  considérait que son statut devait évoluer vers plus d’indépendance, je lui ai tenu ce discours : « Soit, je serai moins directif et m’en remettrai plus à ta capacité de faire par toi-même ce que je te recommande, mais sache une chose : « La liberté est plus exigeante que la contrainte. » La citation est de moi, sauf auteur non identifié à ma connaissance.

Oui, la liberté est plus exigeante que la contrainte car elle implique un discernement personnel de ce qu’il convient de faire pour soi-même et pour les autres, et nécessite de faire appel à sa volonté pour agir. La contrainte est un cadre imposé de l’extérieur. La liberté est un cadre que l’on se construit et qui évolue au fil du temps, et au gré de sa personnalité.

Plus qu’un principe d’éducation, c’est je crois un principe de vie et c’est surtout un principe inhérent à notre démocratie qui voit se mêler un cadre contraint résultant de ce que l’on qualifie le contrat social, accepté implicitement en vivant dans une société, et le cadre personnel que chacun modèle à sa guise mais en tenant compte du principe général selon lequel la liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres.

Passons à l’application pratique après ces quelques rappels théoriques que certains trouverons peut-être naïfs ou évidents mais que je me suis senti obligé de rappeler face à l’actualité pour étayer mon propos.

Pour ceux qui me font l’amitié de me lire, ils savent à quel point je suis attaché à la liberté d’expression car elle me semble la condition sine qua none de l’exercice bien compris de la démocratie. Cela ne va pas forcément de soi. Je ne suis pas certain, pour coller de nouveau à l’actualité, qu’à travers le monde chacun partage avec la même intensité cette valeur qui s’inscrit, en principe, plus naturellement dans nos sociétés occidentales. Je crois tout simplement que c’est parce que la maturité de l’organisation politique dans un grand nombre de pays n’est pas la même que la nôtre, sans nier bien sûr tous les travers de notre propre système… mais ce n’est pas l’objet de mon intervention en l’occurrence. D’autre part, le rapport à Dieu et, son bras armé très souvent, la religion, n’est pas non plus identique à travers le monde en fonction des civilisations, quoi qu’il y aurait beaucoup à dire en l’espèce concernant notre civilisation occidentale ne serait-ce qu’en se référant aux Etats-Unis qui conservent comme chacun sait dans leur République la Bible comme élément de référence. Là encore, il n’est pas possible de développer mais ce serait intéressant d’ailleurs que les réflexions sur ce thème viennent enrichir l’analyse médiatique de cette actualité pour éclairer nos concitoyens.

La différence relève, à très gros traits je m’en excuse, de la manière dont on interprète ce rapport à Dieu. Même aux Etats-Unis, il me semble que c’est sous l’angle de la raison que doit se comprendre cette marque de respect du divin. Dans les pays musulmans, pour s’en tenir à notre actualité, mais l’analyse mériterait d’être bien évidemment élargie, une difficulté de taille vient compliquer la donne. Dieu se serait exprimé à travers son prophète Mahomet. Ainsi, chaque musulman se doit de respecter des « commandements » qui sont en toute logique au-dessus des lois que pourraient édicter les gouvernants de son pays.

Pardonnez-moi encore une fois ces raccourcis qui mériteraient de plus amples développements par tous ceux qui sont bien plus qualifiés que moi mais cela me permet de poser le cadre de cet article. Chacun comprendra bien que cette différence, nous l’avons vu, tout de même relative, avec nos pays occidentaux, crée donc une différence d’approche fondamentale de ce que l’on appelle la liberté. Liberté individuelle mais aussi liberté concédée par l’Etat. Ainsi, les cadres que peuvent se fixer les uns et les autres ou que peut fixer l’autorité étatique diffèrent en fonction des pays et des cultures. Cela constitue un choc de civilisations, au sens de friction, de difficultés à les emboîter les unes dans les autres. Choc dur, choc mou, choc surmontable,… l’avenir nous le dira. Mais cela me semble être une évidence. Mieux vaut l’accepter pour identifier les moyens de le dépasser c’est-à-dire rendre compatibles ces civilisations qui ont vocation à coexister ensemble, voire en termes philosophiques et sur le temps long à forger la future civilisation mondiale que certains appellent trop rapidement de leurs vœux sans avoir conscience du lent travail de maturation nécessaire à un tel accomplissement.

Ici, des hommes qui mettent Dieu au-delà de leur organisation étatique, là, des hommes qui, avec de grandes nuances, tentent de créer un cadre qui rassemble tout le monde en assurant à chacun, dans sa « sphère privée », la possibilité d’exprimer sa croyance en Dieu ou sa spiritualité en toute liberté. Evidemment, tout cela est infiniment plus compliqué dans la réalité et c’est encore une fois sur ces principes de vie et d’organisation sociale qu’il conviendrait de réfléchir plutôt que de s’adonner aux simplifications auxquelles nous assistons parfois dans le cadre de ce débat sur la liberté d’expression.

C’est donc bien à l’aune de ces repères, de ces valeurs, que chacun appréciera ce qui relève de la liberté d’expression dans la « sphère publique ». Clairement, cette appréciation sera largement différente selon que l’on se situe à un bout ou l’autre de l’échelle des valeurs très schématiquement présentée ci-dessus, avec toutes les nuances que l’on peut par conséquent imaginer.

Ce n’est pas simple. Tentons donc une analyse personnelle. Elle pourrait se résumer à l’idée  suivante : sachons ordonner notre liberté dans une relation constructive avec les autres. Et cela relève de notre responsabilité. Une liberté exigeante en quelque sorte, hors des sentiers de la contrainte imposée dirions-nous.

Reprenons les deux termes de cette idée. En premier lieu, ordonner sa liberté ! Cela veut dire d’une part, que cette liberté existe et, d’autre part, que nous sachions la maîtriser. Deux éléments essentiels.

Cette liberté doit d’abord exister car c’est l’ambition démocratique qui est la nôtre que d’avancer tous ensemble, à un rythme peut-être plus lent nécessité par cet impératif de conviction des uns et des autres, afin de bâtir génération après génération notre société et définir le sens de notre civilisation. Nous devons faire partager cette valeur à travers le monde, en tenant compte comme nous l’avons vu des réticences et des obstacles qu’il convient de surmonter.

Mais ensuite, cette liberté, plus exigeante que la contrainte, car reposant sur notre propre discernement, doit être maîtrisée par chacun au sens large. C’est donc à chacun de pouvoir définir les limites qui s’imposent à sa propre liberté pour s’assurer que les conditions de l’existence collective sont bien respectées et que d’ailleurs, de manière égoïste, chacun n’ait pas à subir en retour les conséquences d’une liberté qui viendrait le blesser lui-même ou porter atteinte à ses valeurs profondes.

Concrètement, que cela signifie-t-il ? Encore une fois, il faudrait de plus longs développements pour épuiser une telle réflexion, mais pour rester sur notre sujet d’actualité, contentons-nous de nous intéresser à l’obligation morale qui nous est faite de manier l’humour ou la caricature avec précaution surtout lorsque son mode d’expression dépasse le cadre individuel, à travers la publication d’un journal, la diffusion d’un film,… Au risque de paraître ringard, même si les « Guignols de l’info » peuvent provoquer le rire et ont beaucoup de succès, je ne m’interdis pas la possibilité de penser que cette manière de se moquer de tout et de tout le monde peut avoir des effets pervers. Vaste sujet qui me permet juste d’ébaucher ce qui relève de règles morales quelque part, visant à définir jusqu’où il est possible d’aller. Satisfaire certains gouts de la nature humaine ne peut justifier de tout dire et de tout faire. Notre monde ouvert aux quatre vents de la communication, de l’information, doit pouvoir établir par un dialogue constructif, en lien avec « l’opinion publique », ce qui peut se dire ou se faire ou non. Il n’est d’ailleurs pas interdit aux acteurs publics d’orienter cette réflexion. Voilà toute la complexité du sujet. Autoriser cette liberté pour autant qu’elle sache être ordonnée autour de quelques principes qui guident notre capacité à vivre tous ensemble.

Et nous en venons tout naturellement au second terme de notre règle : sachons ordonner notre liberté dans une relation constructive. Une relation constructive ! On le voit bien, c’est donc dans une relation mouvante nécessairement, qui s’adapte, que l’on peut définir ce qui outrepasse ou non le cadre de la liberté que l’on s’autorise. Mais pour cela, il faut aussi que tout sujet puisse faire l’objet d’un débat serein, courageux tout en étant respectueux des opinions des uns et des autres.

Concrètement une fois encore, que cela signifie-t-il ? Si je prends le pseudo film sur Mahomet - je dis pseudo car je n’en ai vu que ce qui était visible sur « Youtube » c’est-à-dire des extraits - de quoi s’agit-il ?

D’abord, j’en profite pour rappeler qu’au-delà de cet objet d’analyse, il faudrait s’interroger sur les motivations de ceux qui ont donné une telle audience à ce film bricolé que des étudiants auraient pu faire dans un garage… En d’autres termes, on ne peut mettre de côté la réflexion sur le point de savoir à quel moment une expression publique est vraiment de nature à avoir un retentissement sur l’opinion publique. Ce n’est pas anodin. Même si l’on peut trouver cela complètement idiot ou offensant, une expression « publique » se limitant à un cercle très restreint ne mérite pas le même statut qu’une expression publique visant d’emblée un large public et ayant vocation à dépasser ce cadre restreint.

Mais pour en revenir à ce film qui est clairement une satire de Mahomet, même si j’inviterais à un peu plus de prudence sur le terme islamophobe car le fait de se moquer de tel ou tel ne veut pas dire nécessairement que l’on rejette tel ou tel – bien que, en l’occurrence on peut considérer que cela soit effectivement le cas mais je souhaite insister sur le caractère non automatique d’une telle déduction -, cela mériterait vraiment d’avoir un débat transparent sur Mahomet et l’Islam. Pourquoi ? Tout simplement, parce que si l’on parle régulièrement de cette religion, l’Islam, je n’ai pas le sentiment que le débat porte souvent sur les fondements de celle-ci. Cela impose certes d’être prudent dans sa manière d’aborder le sujet pour ne pas choquer les croyants qui parfois (souvent ?) n’ont qu’une vision « préfabriquée » de leur religion, mais cela s’avère indispensable pour faire avancer la découverte de la vérité, partagée par tous…. Chacun doit pouvoir se prononcer, croire, en fonction de la réalité et non d’une vérité habillée en dogme par certains, les mêmes se portant garants de cette même vérité. Là encore, vaste sujet.

En clair, comme chacun a dû l’entendre dire, ce film satirique constitue une caricature de la vie de Mahomet. Et, comme toute caricature, en principe, elle vise à déformer dans un sens humoristique une réalité. Il conviendrait donc, puisque nous sommes devant le fait accompli – la diffusion de ce film avec une audience qui dépasse celle qu’aurait méritée un tel film – d’aborder avec un esprit plus analytique les éléments qui en constituent la caricature. C’est sans doute délicat une fois encore, mais cela permettrait de mettre à plat un certain nombre de vérités sur l’histoire de Mahomet, vérités d’ailleurs non contestées en tant que telles par les musulmans éclairés eux-mêmes, bien que ces faits soient plutôt passés sous silence. Faut-il le faire à chaud, ou à froid en prévision de futurs épisodes de ce genre, à chacun de voir, mais il faut le faire dans un cadre accessible à tous.

Comme je l’ai rappelé dans un précédent article, la vie de Mahomet n’a pas été un long fleuve tranquille. Elle est marquée par la violence pour se faire reconnaître ainsi que par une vie personnelle sur le plan sentimental pour ne pas dire sexuel qui peut interpeller tout un chacun. Le film dont il est question s’est engouffré dans la brèche, avec une claire intention de ridiculiser Mahomet, mais comme le ferait quelqu’un qui veut se moquer d’un prophète institué en moquant les actes qui sont censés l’avoir ériger au rang de prophète. Cette affirmation ne doit pas cacher le fait que l’auteur ou les auteurs avaient peut-être d’autres buts moins liés à l’humour… Mais si l’on s’en tient à l’aspect « caricature humoristique », on ne s’y serait pas pris autrement pour dénigrer Mahomet en s’appuyant sur des faits précis.

Alors, jusqu’où peut-on aller dans l’humour surtout lorsque l’on touche à un aspect aussi sensible que celui des croyances religieuses. Osons une interprétation personnelle. Quelle que soit la religion incriminée, il me semble que l’on peut, que l’on devrait, s’imposer des limites pour ne pas heurter l’autre. Je comprends bien que pour certains, notamment athées, ces croyances ne méritent pas un tel respect et qu’à ce titre elles justifient que l’on puisse s’en moquer, mais il me semble que si humour il y a, il doit se faire avec tact, et sans doute pas gratuitement, méchamment, pour heurter l’autre. Alors, évidemment jusqu’où considère-t-on que l’humour a bien respecté cette obligation morale ou non ? Cela relève une fois de plus d’un échange au long cours permettant de fixer les limites au-delà desquelles on peut raisonnablement penser que l’humour atteint de manière agressive telle partie de la population.

Liberté, oui, mais qui doit savoir être ordonnée car nous vivons tous ensemble ! Mais débat aussi pour que l’on accepte d’ouvrir à la réflexion de tous, les éléments qui peuvent être l’objet de cet humour.

Voilà comment je me situerais dans ce débat essentiel car touchant aux sentiments les plus profonds de ceux qui sont animées par des croyances spirituelles qui méritent rappelons-le clairement le respect même si elles n’interdisent pas non plus le débat, sous une forme humoristique ou non.

Je n’ose pas vous renvoyer à mes écrits sur la question spirituelle mais cela constituerait pourtant une bonne conclusion. Je me contenterai de dire que ces questions risquent de nous occuper encore quelques temps… le temps peut-être que d’autres révélations nous soient faites… et qu’il importe donc que nous nous donnions les moyens de pouvoir y répondre de manière constructive en dépassant le choc des civilisations qu’elles sous-tendent mais également les soubresauts intra-civilisation qu’elles peuvent provoquer, comme nous avons pu le constater récemment concernant la religion chrétienne avec des représentations de Jésus ou des mises en scène théâtrales choquantes pour les croyants.

 

Patrick CLEMENT

Boulogne, le 21 septembre 2012

 

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