LA FIN DE VIE OU « LA BALLADE DE NARAYAMA »
Pour ceux qui auraient oublié ou ne connaîtraient pas ce film, Wikipedia nous rappelle que « La Ballade de Narayama » est un film japonais de Shōhei Imamura sorti en 1983, et Palme d'or au festival de Cannes.
L'action se déroule au Japon vers 1860, dans un village pauvre et isolé sur les hauteurs du Shinshū. La coutume veut que les habitants arrivant à l'âge de 70 ans s'en aillent mourir volontairement au sommet de Narayama, « la montagne aux chênes ». C'est ici que se rassemblent les âmes des morts…
On pourra se reporter aussi, dans un autre registre (!), au « Cimetière des éléphants » qui est un endroit où, selon une croyance européenne apparue au XIXe siècle, mais infirmée depuis par les zoologues, les éléphants d’Afrique se rendaient d’eux-mêmes pour mourir…
Bien, mais où veut-il en venir ? Vérifiées ou non, les légendes sur les rites de la fin de vie à travers les âges et partout dans le monde évoquent cette question de la mort.
Si je reste persuadé que la loi Leonetti répond bien à l’immense majorité des cas en vue d’éviter l’acharnement thérapeutique, il n’en reste pas moins que les mesures permettant aux soins palliatifs d’être effectivement opérationnels restent encore insatisfaisantes. Il me semble donc que ce n’est qu’au terme du déploiement complet d’un tel dispositif qu’il sera possible de faire une évaluation permettant d’apporter les adaptations nécessaires.
N’étant pas un spécialiste de ces questions, bien que membre de l’association pour le droit de mourir dans la dignité, dont je regrette la croisade politique engagée à l’initiative de son président, M. Jean-Luc ROMERO, pour des raisons personnelles qui ne devraient pas interférer avec la mission d’intérêt général de cette association, je considère que le débat n’est pas clos pour autant avec cette question des soins palliatifs. En effet, l’acharnement thérapeutique ne couvre pas la totalité du champ des personnes en fin de vie. Avec les progrès médicaux fantastiques réalisés, qu’il faut bien sûr saluer à leur juste valeur, la vie humaine peut désormais être prolongée de manière significative. Mais à partir de quand peut-on considérer qu’il s’agit d’une vie digne de sens. Débat certes oh combien sensible. Mais il ne peut être écarté d’un revers de main ou d’un coup de positionnement idéologique ou religieux. L’individu aurait toute liberté de décision ou la vie humaine devrait être respectée à tout prix. Non, l’individu n’a pas toute liberté de décision, y compris dans sa propre sphère privée. La société est censée le protéger de ses actes, par exemple s’il tentait de s’automutiler,… Et si la vie humaine doit être respectée à tout prix, il faut bien définir à quel moment cette vie cesse justement de rentrer dans le giron de ce que l’on peut appeler une vie humaine qui a du sens, pour l’individu lui-même et au sens de notre civilisation.
Vaste débat. Et c’est ce débat qu’il nous faut trancher. Alors, de grâce, ce n’est pas un débat de gauche ou de droite. Un débat de progressistes ou de conservateurs. Le progrès en l’occurrence se mesure à notre capacité à allonger la durée de la vie. Mais est-ce un progrès de maintenir en vie un individu dont la raison d’être en tant que personne humaine aurait finalement disparu. Débat crucial qui de plus ne peut pas appeler de réponses intemporelles tant cette frontière est susceptible d’évoluer justement en fonction des avancées scientifiques.
Par ailleurs, le raisonnement tenu à vingt ans diffère de celui arrêté à cinquante, soixante-dix ou quatre-vingt-dix ans,… Cependant, en tant que cinquantenaire, avec prudence, je crois pouvoir dire qu’il vient un temps où la vie cesse d’avoir un sens sur cette terre. C’est sans doute plus facile pour moi d’affirmer une telle chose dans la mesure où je suis intimement persuadé qu’une « suite » nous est offerte, sous une autre forme. Je ne rentrerai pas dans ce débat ici car je crois qu’il est important que notre réflexion sur ce sujet puisse convenir évidemment aussi à ceux qui pensent que la vie sur terre n’est qu’un « one shot » (tir unique !). Mais dans cette hypothèse également, il me semble que la vie peut n’avoir plus de raison d’être à partir d’un certain âge, ou dans certaines conditions mettant en cause l’intégrité physique ou intellectuelle de la personne, lorsque cette vie perd de son sens.
Je ne prétends pas résoudre cette question en quelques lignes mais j’aspire à un débat profond, serein, qui aille au-delà des slogans ou des anathèmes comme je l’ai dit plus haut, raillant ici les uns pour leur conservatisme étriqué ou là les autres pour leur progressisme irréfléchi.
Il est certain que je préfère la notion d’aide à la fin de vie à celle d’euthanasie qui rappelle malgré tout de douloureux souvenirs dans notre histoire, notamment celle du XXème siècle. Alors, prenons garde aux mots employés pour que ce débat puisse se dérouler sans heurter les consciences. Mais n’hésitons pas à dépasser les tabous ou les doctrines existantes car les progrès de la médecine nous font pénétrer dans un monde nouveau qui nous oblige à cette prise de conscience et à cette recherche d’une philosophie respectueuse de la vie humaine mais tenant compte des contingences d’une vie qui perdrait son sens eu égard aux valeurs de la civilisation que nous souhaitons porter et défendre.
Je ne sais pas si j’ai fait avancer le débat en si peu de mots, bien que parfois... Sans doute pas, mais au moins me sera-t-il reconnu une tentative de poser les termes du débat dans leur ambition globale et dans leur réalité quotidienne.
Que chacun s’exprime avec ses convictions, mais en intégrant bien ces deux dimensions, et je suis persuadé que nous serons capables d’élaborer des propositions acceptables pour tous à défaut d’épouser totalement la position des uns et des autres. Acceptables pour tous, c’est-à-dire conformes à la civilisation encore une fois que nous voulons faire avancer tous ensemble et respectueuses des souffrances, voire des désespoirs, manifestées par ceux qui sont touchés directement par ces situations.
Ayons confiance dans l’intelligence humaine !
Patrick CLEMENT
Boulogne, le 25 août 2012