BLA BLA BLA BLA BLA… OU L’ART DE LA RHETORIQUE EN POLITIQUE
De l’émission « Des paroles et des actes » de France 2, hier soir, François HOLLANDE n’avait dû retenir que la première partie du titre ! « Des paroles, des paroles,… », aurait chanté Dalida, pour ceux qui se souviennent. Mais pour passer aux actes, il faudrait être plus précis…
Il faut reconnaître cette capacité extraordinaire - spécificité française de la formation des élites ?- qu’ont certains dirigeants politiques issus de nos grandes écoles à pouvoir enrober leur propos en évitant soigneusement de préciser concrètement leur pensée. Leurs capacités intellectuelles ne sont pas remises en cause, certes, mais l’aptitude à agir n’en est pas nécessairement mise en évidence, c’est le moins que l’on puisse dire. Et c’est quand même un problème pour un futur Président de la République. Un caractère rond et une personnalité sympathique, que chacun se plait effectivement à reconnaître, ne sont pas nécessairement les premières qualités attendues pour ce type de fonction.
A vous de juger en visionnant l’émission d’hier et dîtes-moi si je me trompe.
Si nos journalistes-interviewers ont montré de la pugnacité vis-à-vis de François HOLLANDE, enfin cela a été surtout l’apanage de David PUJADAS, et c’est son mérite, au début de l’émission, en tentant, je dis bien tentant, d’obtenir une réponse sur le point de savoir si la France comportait trop d’immigrés, celle-ci s’est bien vite relâchée ensuite. Et, pour tout dire, j’ai même eu le sentiment que les journalistes ménageaient François HOLLANDE, tellement il s’emmêlait de manière consternante sur certains thèmes dans un flot de paroles qui n’avaient manifestement pour but que d’éviter de répondre précisément. Ont-ils eu pitié ? C’est vrai que c’en était même gênant pour lui à certains moments, je dois l’avouer. Alors, tactique ou non du candidat socialiste pour ne plus heurter personne, y compris surtout j’imagine ses nouveaux partisans du premier tour ralliés à son étendard, c’est possible, mais cela en dit long sur le risque que fait courir son élection au pays lorsqu’il faudra trancher et faire preuve de caractère. Mimer la stature présidentielle, qui semble être une obsession désormais - un peu artificielle vous en conviendrez avec moi - ne doit pas pouvoir permettre de s’exonérer d’en donner des gages concrets en termes de capacité réelle. En bref, l’habit ne fait pas le moine. On comprend mieux sa crainte du débat frontal avec Nicolas SARKOZY car l’art de l’esquive s’en trouvera forcément contrarié.
Quand François HOLLANDE, par exemple, n’est pas relancé par François LENGLET, journaliste économique de BFMTV, sur la suggestion selon laquelle le graphique présenté sur la hausse du coût du travail à partir de 2001 n’évoque peut-être pas l’arrivée au pouvoir de la Droite en 2002 mais plutôt la mise en œuvre des 35 heures, on peut presque parler de faute déontologique par omission…
Sur un tout autre registre, on aurait aimé aussi que François HOLLANDE précise sa pensée quand il affirme de manière péremptoire que certaines valeurs du Front National ne sont pas compatibles avec la République. Comment un journaliste peut-il résister à l’envie de s’engouffrer dans la brèche en demandant lesquelles. Mais oui, lesquelles, parlons-en. C’est possible mais pour le savoir, encore faudrait-il être précis. Citer ces valeurs non républicaines et expliquer pourquoi elles ne le sont pas. C’est le cœur du débat… et il n’a pas été abordé malheureusement devant les français, en tout cas hier soir.
J’apprécie cette émission, et son animateur d’ailleurs, car je trouve que son rythme et son organisation en font un moment tout à fait intéressant pour tout français un tant soit peu intéressé par l’actualité politique. Mais, hier soir, une certaine retenue des journalistes était perceptible selon moi.
Alors, pour autant, Nicolas SARKOZY a-t-il « fait le job » ? Oui, je le pense, à sa manière. Et je peux comprendre que son style, rugueux, incisif, puisse heurter une partie de l’opinion plus habituée à un langage traditionnel sur le modèle de celui adopté par François HOLLANDE d’ailleurs. En même temps, si je trouve aussi que son attitude parfois trop stéréotypée, avec un rythme saccadé de l’expression orale par exemple, peut déranger – quel plaisir quand la fluidité des phrases redonne toute sa puissance à la force de conviction – je mets plutôt cela sur le compte d’une préparation intensive qui confine nos hommes politiques parfois dans un rôle d’acteurs répétant leur texte selon des mimiques maintes fois répétées. C’est mon sentiment en tout cas. Et c’est valable pour tous, ou presque tous. Mais c’est le jeu compte tenu de l’impact de ce genre d’émissions politiques, et donc sans doute le prix à payer.
Par contre, il me semble important de savoir dépasser ces quelques agacements pour se concentrer sur le discours. Et là, rien à voir, en tout cas hier soir, c’était flagrant. Que l’on soit d’accord ou pas avec les arguments développés, au moins, le propos est précis. Et on sent celui qui sait de quoi il parle, fort de son expérience présidentielle. Il faut reconnaître que c’est un atout. Et si le livre de Catherine NAY, « L’impétueux », montre bien toutes les facéties dont il peut être capable, et la face noire de son caractère, il faut avouer que le revers de la médaille ne doit pas faire oublier que médaille il y a. En effet, la lecture des faits rapportés dans le détail par cette journaliste politique émérite, très bien renseignée, en donne une preuve éclairante, que ce soit dans le domaine des réformes engagées en France ou du rôle incontestable joué par Nicolas SAKOZY en Europe ou sur la scène internationale pour résoudre les conflits ou parvenir à trouver les voies de résolution de la crise économique. On ne peut tout de même pas passer par pertes et profits ce bilan-là.
L’homme n’est cependant pas à l’abri de critiques ou de regrets. Critique peut-être lorsque les « éléments de langage » développés par Nicolas SARKOZY sur l’attitude à tenir vis-à-vis du Front National sont encore hésitants. Il est vrai que l’adaptation doit être rapide à l’issue des résultats du premier tour et que Marine LE PEN, ou les dirigeants du Front National, ne l’ont pas ménagé. Mais les électeurs, voire même les sympathisants ou les militants de ce mouvement, sont dans leur immense majorité – pour reprendre une expression souvent utilisée lorsque l’on parle des musulmans confrontés aux dérives de l’islamisme – des gens tout à fait normaux, déçus par la Droite, voire pour certains par la Gauche effectivement. Il suffit d’aller à leur rencontre pour s’en convaincre (avec honnêteté en tout cas, sans chercher le cas d’espèce qui peut servir le discours hostile d’un journaliste peu scrupuleux – la tentation existe mais il semblerait que les médias aient jeté un regard un tout petit peu plus objectif que d’habitude sur ce plan).
Et si nos journalistes ont oublié hier soir de relancer François HOLLANDE concernant les conséquences d’une entrée plus ou moins importante de députés du Front de Gauche à l’Assemblée Nationale, compte tenu des accords préélectoraux qui ont été demandés par Jean-Luc MELENCHON en vue de battre le Front National (!), on ne voit pas pourquoi, dans l’éventualité où un candidat du Front National se retrouverait seul face à un candidat du Parti socialiste, ou du Front de Gauche,…, l’UMP ne pourrait pas laisser la liberté de vote aux électeurs qui se prononceraient, comme c’est la règle démocratique, en fonction des personnalités des uns et des autres. Pas d’accord de désistement donc puisque les options politiques ressortant des programmes des candidats à l’élection présidentielle ne le permettent pas en l’état compte tenu du manque de convergence sur un certain nombre de points, mais liberté de vote si tant est que l’on soit dans la réciprocité et que, en cas d’élection de Nicolas SARKOZY, les candidats en question aient indiqué un soutien de principe à la ligne suivie par le nouveau Président de la république, tout en pouvant exprimer des nuances - et elles existent, on l’a dit. Il est tout de même contradictoire de considérer qu'un parti fort d'une telle audience devrait avoir des députés, en voulant introduire à l'avenir une dose de proportionnelle dans le mode de scrutin pour les élections législatives, et s'opposer à son éventuelle représentation à l'Assemblée Nationale dans le cadre du scrutin actuel lorsque l'un de ses candidats se retrouverait seul en lice face à un candidat de Gauche. Pour mémoire, Jean-Luc MELENCHON a affirmé dès le soir du premier tour que son objectif serait d’infléchir les positions du candidat socialiste si celui-ci devenait Président de la République. C’est peut-être à relever et à expliciter…
J’en profite pour suggérer à Marine LE PEN de moins personnaliser tout de même son parti en privilégiant un nom qui exprime l’essence de son action – l’Alliance Républicaine Nationale, évoquée par certains, a ce mérite en tout cas – plutôt que d’en rester à un « Rassemblement Bleu Marine » qui trouvera vite ses limites en termes de symbole des idées politiques défendues. Mais c’est une autre histoire, qui ne m’appartient pas d‘ailleurs.
Enfin, on peut regretter que nos journalistes n’aient pas toujours mieux affûté leurs questions. Ainsi, par exemple, sur la croissance, si Nicolas SARKOZY a oublié de rappeler que le pacte européen s’intitulait justement initialement pacte de stabilité et de croissance, il me semble qu’ils auraient été dans leur rôle de rappeler ce point, bien connu notamment de notre journaliste économique. Chaque Etat bâtissant son projet politique en se fondant sur l’espoir d’une perspective de croissance la plus élevée possible, il parait un peu illusoire d’attribuer aux uns ou aux autres la reconnaissance de ce désir de croissance. Mais comme on peut le souligner à l’envi, la croissance ne se décrète pas. A chacun donc de préciser comment il entend conforter cette croissance, sur le pan national et sur le plan européen. Et c’est là tout l’intérêt du débat, et des pistes de sortie de crise, juste effleurées finalement hier soir.
Ces propos, dont je prie mes fidèles lecteurs de bien vouloir excuser la longueur – mais l’heure est grave - n’engagent certes que moi et relèvent clairement d’une analyse que j’admets bien volontiers comme étant subjective – forcément ! Tout comme nos journalistes invités en fin de soirée de l’émission visée ici font part de leur analyse de la prestation des invités politiques, dont on peut partager ou non certains des arguments avancés, je concède bien volontiers le droit d’avoir une opinion différente de la mienne. C’est bien le moins me direz-vous et vous auriez entièrement raison !
Patrick CLEMENT
Boulogne, le 27 avril 2012