C'ETAIENT LES ANNEES 1960...
Je ne résiste pas au plaisir de vous livrer un passage in extenso du livre d’Alain Peyrefitte « C’était de Gaulle » (volume 3 – p. 81 – Editions de Fallois / FAYARD - 2000) car il permet de mieux prendre la mesure de la permanence de certains sujets, et je peux vous assurer que de très nombreux sujets qui nous assaillent encore aujourd’hui étaient déjà présents dans les années 1960 comme on peut le constater à la lecture de cet ouvrage.
Ce qui est intéressant, en vous livrant ce passage complet, c’est de voir l’état d’esprit de Charles de Gaulle dans la manière d’aborder les problèmes et de proposer des solutions. C’est la raison pour laquelle, le fait de se dire gaulliste, en 2017, ne relève pas d’une sorte d’idolâtrie mal placée, mais bien au contraire d’une volonté de s’inspirer de celui qui a véritablement marqué ce XXième siècle pour la France, avec une modernité malheureusement trop oubliée aujourd’hui.
Mais quelles conclusions en tirer au-delà de cette méthode de gouvernement ? Eh bien, je crois que l’on peut voir le verre à moitié vide ou à moitié plein. Soit, se dire que, décidément, nous n’arriverons jamais à relever les défis qui sont de nature structurelle et non conjoncturelle finalement. Soit, nous considérons que la vie est un marathon et non une course de vitesse et qu’il faut poursuivre les efforts engagés avec ténacité et savoir aborder les problèmes avec méthode et bon sens. J’ajouterai que tout dépend de la force de caractère du Président de la République car on sait que dans l’exécution de sa politique, des accommodements se feront jour inévitablement pour en atténuer la puissance. « Là où il y a une volonté, il y a un chemin » ! (Lénine ; qui malheureusement fera un bien mauvais usage de cet adage…). Encore faut-il donc que le chemin soit le bon…
Voici le texte reproduit ci-dessous (c’est Alain Peyrefitte qui commente) :
« Conseil des ministres du 2 mars 1966 :
Foyer fait un bilan fouillé et inquiétant de la situation pénitentiaire : « La population pénale augmente plus vite que la population. Un cinquième est composée d’étrangers, notamment maghrébins. Un algérien sur 130 est en prison. Il faut reconstruire des prisons. La décision est prise pour la Santé, qui sera reconstruite à la campagne, et pourra devenir le futur ministère de l’Education Nationale.
Pompidou – « La situation n’est pas satisfaisante, c’est vrai. Il y a eu un siècle et demi d’abandon. Il y a trop de détentions préventives ; il faut donc des moyens en personnel, mais aussi faire l’effort de raccourcir les instructions, et recourir davantage à la probation. Les tribunaux s’en méfient, ils préfèrent la prison. Mais la prison est le début de la récidive. »
Foyer – « Pour la probation, vous avez raison, mais il faudrait du personnel pour surveiller les probationnaires. Il y a aussi le cas des Algériens. Le mieux serait de leur donner leur liberté conditionnelle moyennant expulsion. Or, ils sont expulsés par la porte et rentrent par la fenêtre. »
GdG (Général de Gaulle) – « Nous retenons vos observations. D’abord, la lenteur incroyable des tribunaux, ce qui remplit les prisons de prévenus. Les facilités excessives données aux immigrants, notamment aux Algériens. Un système trop libéral : des libérations conditionnelles sans réelles conditions. On libère à tort et à travers pour avoir des places – et c’est vrai pour les pires, comme on l’a vu avec ce repris de justice qui a assassiné un malheureux policier alors qu’il devait être en train de purger sa peine. »
« S’il n’y a pas assez de places dans les prisons, il faut en construire. Il faut en venir au régime cellulaire, pour que les gens soient face à eux-mêmes et non face aux autres. La promiscuité rend impossible l’amendement. »
(C’est exactement ce que démontrait Tocqueville, qui examinait les prisons américaines en 1830 et se demandait si on ne pourrait pas l’appliquer en France. Je sais que le Général a lu de près « La Démocratie en Amérique » et « L’Ancien Régime et la Révolution » mais a-t-il lu « Du système pénitentiaire américain et de son application en France », jamais réédité depuis ?).
Frey – « Nous expulsons des centaines et des milliers d’Algériens. Ils reviennent avec de fausses cartes d’identité. »
GdG – « Il y a quelque chose à organiser. Pourquoi ne pas imaginer des cartes d’identité avec des empreintes digitales ? On ne peut pas les falsifier ».
Une réflexion de simple bon sens a surgi aussitôt dans l’esprit pratique du Général. Mais il s’interdit d’aller plus loin. Ce n’est pas à lui, c’est au ministre compétent « d’organiser quelque chose ».
Trente-quatre ans plus tard, on n’a toujours rien organisé alors que des pays comme les Etats-Unis ne se font aucun scrupule de prendre les empreintes digitales des touristes.
Pompidou – « Deux réserves, à ce propos. Si on prend des mesures d’expulsion contre les Algériens, qu’on les traite dans les formes et comme des étrangers normaux. Le gouvernement algérien se plaint souvent des méthodes employées. Je veux bien qu’il soit susceptible mais il y a aussi de vieilles traditions du côté français. »
GdG – « Il ne faut pas non plus fermer complètement le robinet des travailleurs algériens qui viennent en France. Ils sont indispensables à la santé de l’économie algérienne et devraient être utiles à la santé de la nôtre. Mais il faut ne les admettre qu’avec beaucoup de modération et mieux les trier. »
« Dernier point : les amendes. Elles seraient plus efficaces si elles étaient mieux recouvrées. On me dit qu’elles ne sont jamais recouvrées, par exemple pour les délits de presse. »
« Nous retenons ceci : 1) Il n’y a pas assez de prisons, il faudra en bâtir 2) Le besoin de personnel 3) Il faut absolument accélérer le cours de la justice 4) Sélection beaucoup plus stricte, à leur entrée en France, des étrangers, notamment des Algériens. »
Voilà, édifiant, non ?!
Je préciserai que lors d’un conseil des ministres en 1964, Charles de Gaulle avait déjà demandé plus de sévérité dans le contrôle des immigrés et s’était clairement prononcé pour des mesures en faveur de la natalité française…
Patrick CLEMENT
Boulogne, le 14 décembre 2017