LA RECONQUETE POPULAIRE… OU POPULISTE ?
Après avoir dénoncé la percée des partis dits populistes en Europe, la presse française semble s’étonner, avec une certaine admiration d’ailleurs, du succès du Front de Gauche, emmené par Jean-Luc MELENCHON, après avoir constaté la même réussite, mais sans doute avec des sentiments différents, du Front National, représenté désormais par Marine LE PEN.
En son temps, LE FIGARO avait publié un article provocateur, que je n’aurais pas renié…, esquissant le scenario d’un second tour Marine LE PEN / Jean-Luc MELENCHON. C’était avant l’entrée en campagne de Nicolas SARKOZY. Mais pourquoi cet engouement pour ces leaders politiques ? Pour deux raisons, je crois. La première, le charisme traduit en une forme de gouaille populaire que nos autres leaders, plus policés par leur trajectoire politique, ne faisaient pas leurs ou ne pouvaient tout simplement traduire car n’étant pas conforme à leur personnalité et leur formation. La seconde, par un programme porté par ces candidats qui venait dénoncer un certain nombre de faits vécus par les français mais non pris en considération, un mépris des attentes exprimées par exemple par les français lors du referendum de 2005, et qui exprimait des propositions sortant des sentiers battus du discours politique dit classique, ou politiquement correct si l’on préfère.
Comment expliquer alors le tassement, relatif, de la première et la percée du second. Selon moi, parce que l’une, Marine LE PEN, n’est pas apparue crédible sur le plan économique et n’a pas su décliner son programme sur les thèmes touchant directement à la vie des gens, que ce soit notamment en matière d’immigration ou d’insécurité. En trébuchant dans l’émission politique au cours de laquelle elle devait être opposée justement à Jean-Luc MELENCHON, elle a montré un visage un peu naïf et une posture artificielle qui fragilisait son côté « près du peuple » et prête à en découdre.
Parallèlement, l’honnêteté intellectuelle exige que l’on salue la performance d’un Jean-Luc MELENCHON qui, depuis le début, fait un sans faute dans ses apparitions médiatiques. Sa sincérité crève l’écran. Sa spontanéité aussi. Bref, par rapport aux autres candidats, il ne semble pas corseté par un texte ou un rôle dont la mise en scène tellement précise l’empêcherait de s’exprimer avec naturel.
Je crois que les français attendent des candidats qu’ils soient eux-mêmes. C’est ce que voulait clairement Charles de Gaulle avec l’élection du Président de la République au suffrage universel direct. A ce jeu là, Jean-Luc MELENCHON est incontestablement le meilleur même si Nicolas SARKOZY, piqué au vif par des sondages peu flatteurs, a su puiser en lui les ressources nécessaires pour redevenir le bateleur politique qu’il avait été.
Sur le fond, il ne faut pas s’y méprendre. C’est bien le réflexe contestataire de nos concitoyens qui est excité par nos deux candidats dits populistes ou populaires. Avec talent et, je pense raison pour ce qui est des maux dénoncés, car en s’élevant dans la sphère politique, on ne distingue plus forcément ce qu’est la vraie vie des gens, leurs difficultés, leur révolte et leurs attentes face à un sentiment d’abandon. Ces français là, on les retrouve regroupés sous la bannière du Front de Gauche et du Front National, plus que derrière aucun autre candidat ou parti politique. En fait, une gauche nationale et une droite nationale. Alors ne les blâmons pas mais tentons d’expliquer leur exaspération.
D’une part, je crois qu’effectivement, ils se sentent abandonnés. Le macro-politique l’emporte sur le micro-politique. C'est-à-dire que le discours, pourtant bâti sur des analyses richement dotées en statistiques, ne tient pas compte du vécu des gens. Parfois, une moyenne ne veut rien dire sur le plan humain ! Et là, incontestablement, en dénonçant ce qui choque le plus dans notre société, le succès est forcément au rendez-vous, surtout lorsque c’est dit avec éloquence et sincérité.
D’autre part, je crois que le rouleau compresseur médiatique, que les journalistes veuillent bien m’excuser cette nouvelle dénonciation, consistant à détruire pendant cinq ans l’action de Nicolas SARKOZY, pratiquement quelle que soit la mesure proposée et mise en œuvre, pour certains médias, a joué en faveur d’un sentiment de révolte. Par ailleurs, le Parti socialiste, en soufflant sur les braises, sans se donner les moyens de construire un chemin social-démocrate qui aurait dit son nom et qui aurait permis de mieux identifier les réalités économiques de notre monde, n’a pas permis au débat de s’élever véritablement. Enfin, l’absence de crédibilité de François HOLLANDE qui, du coup, suit une trajectoire sinueuse pour ne déplaire à aucun de ses alliés potentiels, a fait le reste.
En prenant un peu de recul, je dois dire que l’on assiste à une résurgence du courant communiste qui se fait de manière masquée, et programmée avec une stratégie très élaborée. Personne n’a oublié le succès marketing du petit opuscule « Indignez-vous » de Stéphane HESSEL, vendu en librairie à 3 euros, et mis en évidence par nos libraires avec une certaine gourmandise… Je l’ai lu et derrière la juste indignation se cache une logique intellectuelle que nous pensions oubliée depuis la chute du mur de Berlin. Mais le communisme peut renaître de ses cendres tant il est vrai que la mémoire collective a tendance à s’effacer et que les illusions, sans connotation péjorative, sont le sel des hommes, en bien comme en mal. Et je dois dire que « Le programme du Front de gauche (l’humain d’abord) », proposé par Jean-Luc MELENCHON, et vendu à 2 euros en librairie, est de la même veine. Là aussi, je l’ai lu ! Les maux de notre société, qu’il convient effectivement de corriger et tout le monde en convient, sont ici utilisés pour prôner les recettes les plus éculées des nationalisations, du collectivisme et des vœux pieux qui ne peuvent que faire l’unanimité. Mais ça peut marcher lorsque l’on se sent abandonné et que la réalité de notre monde n’est pas suffisamment expliquée ou, plus exactement, toujours présentée sous un angle lugubre.
Alors, Jean-Luc MELENCHON et Marine LE PEN, compte tenu de l’échiquier politique, ne seront pas nominativement au deuxième tour mais ils pèseront sur les orientations des deux candidats en lice pour remporter l’élection présidentielle. Aux représentants des forces politiques alors rassemblées, de droite et de gauche, de savoir en tirer les bons enseignements, au risque, soit de nous entraîner dans une aventure économique qui nous couterait très chère et à l’issue ensuite incertaine, soit de laisser monter les frustrations et un vent de révolte qu’il sera dur de contenir. Trente ou quarante ans après l’émergence des grandes questions de société auxquelles notre pays est confronté, j’ose espérer une prise de conscience qui soit à la hauteur de l’idée que je me fais de la France et des français. Et ne pas avoir l’impression, que, décidément, le débat n’a pas progressé et désespérer ainsi un peu plus de mon pays qui vaut pourtant bien mieux que cela.
Aux armes les médias ! Affutez vos crayons, forcez la voix, présentez votre meilleur profil, pour que les propositions flatteuses soient disséquées à l’aune de la réalité mais aussi pour que le cri du peuple soit entendu et reçoive une réponse adaptée. Là est le vrai sens de la campagne et de son accompagnement médiatique.
Patrick CLEMENT
Boulogne, le 19 mars 2012