LA LIBERTE INDIVIDUELLE AU DEFI DE L’APPARTENANCE A LA NATION
Bien, aujourd’hui, j’ai décidé de me lancer dans un exercice qui dépasse sans doute mes connaissances théoriques sur le sujet mais peut-être que cette petite bouteille jetée à la mer sera recueillie par plus érudit que moi pour proposer au plus grand nombre le phare qui doit nous guider dans cet océan tourmenté.
Je crois en effet à l’importance de la pédagogie, considérant que la démocratie n’a de sens que si le peuple est à même de juger ce qui lui est soumis, non qu’il n’en soit pas capable tout seul, bien au contraire, mais parce qu’il est absorbé par d’autre préoccupations quotidiennes qui le tiennent, pour une grande part, éloigné de réflexions qui nécessitent lectures et échanges intenses, donc d’y consacrer beaucoup du temps. Le vulgarisateur est donc celui qui synthétise ces réflexions pour les rendre accessibles au plus grand nombre. Oh, rassurez-vous, je ne me classe pas dans cette catégorie mais j’essaie juste de jouer un petit rôle d’alerte pour tenter de faire réagir ceux qui sont en mesure de délivrer avec « autorité » un point de vue « autorisé » !
Finalement, de plus en plus, et c’est un constat dont je me souviens parfaitement car je l’avais fait en tant qu’étudiant, tout repose sur l’idée de la liberté individuelle… et de ses limites inhérentes à l’existence du « groupe humain » dans lequel chacun exerce cette liberté. Nous entrevoyons en disant cela la complexité de cette notion de groupe humain. Le couple est un groupe humain. La famille également. Mais aussi toute communauté dans laquelle un individu s’identifie en fonction de ces centres d’intérêt : sport, culture, religion,… Et sur un plan plus institutionnel, une commune, un département, une région, un pays, un continent, le monde, jusques et y compris l’univers dans la mesure où notre exploration de ce dernier nous donne également des responsabilités désormais en tant que terrien.
Abstrait tout cela me direz-vous. Non, pas tant que cela en fait. Car dans les nombreux débats qui nous occupent et vont nous occuper, je crois que c’est bien de cela qu’il s’agit.
Avoir un enfant, cela relève de sa liberté individuelle. Oui, mais dans le cadre d’une société, voire d’une civilisation qui définit des règles, et peut-être même plus, des valeurs auxquelles chacun est censé adhérer. Sans cette armature, tout s’écroulerait…
Toute liberté individuelle doit donc s’apprécier au regard de cet ensemble qui nous réunit tous, avec les frottements inévitables pouvant intervenir entre les sous-ensembles qui peuvent exister.
La religion par exemple est génératrice de sous-ensembles, sachant justement que pour certains il ne s’agit pas d’un sous-ensemble mais d’un ensemble plus grand que celui constitué par la Nation pour parler clair, justifiant de pouvoir appliquer des règles qui ne rentreraient pas dans cet ensemble « Nation » conçu pourtant pour nous rassembler tous et nous permettre de vivre en harmonie.
Ce que je veux dire, c’est qu’il convient de définir l’ensemble considéré comme le plus grand dénominateur commun. La Nation, en tout cas, en France, est cet espace auquel nous nous rattachons (Rousseau parlait de « contrat social » entre l’Etat et l’individu). La Nation a pris depuis un certain temps déjà une représentation concrète sous la forme de la République pour abriter l’expression de notre vie citoyenne. Avec la laïcité, il s’est agi de traduire en termes républicains ce qui préexistait pour notre civilisation de culture chrétienne : le fameux « Rendez à César ce qui appartient à César et à Dieu ce qui appartient à Dieu ». Tout simplement, parce que la religion, fondée sur la foi, relève de l’intime conviction et ne doit pas s’imposer à l’autre, même si l’on pressent bien qu’une croyance en Dieu entraîne par essence une dimension qui englobe notre vie terrestre et son organisation matérielle. C’est bien là le nœud gordien… Et pourtant, justement, l’existence de multiples religions au sein d’un même Etat a permis l’éclosion de cette vision moderne seule à même de préserver la paix entre les uns et les autres, la vérité des uns n’étant pas la même que celle des autres en la matière. L’acceptation de cette relativité est la clé de voute de notre capacité à vivre ensemble, même si cela heurte finalement chaque religion dont l’organisation vise justement à ériger une communauté plus ou moins hermétique, avec ses règles propres renforçant finalement cette différenciation avec l’autre (de manière explicite ou non avouée).
Que veut dire cela concrètement ? Une chose simple. Il me semble que c’est pourtant bien à l’aune de cette conception que notre société doit continuer à se construire, quels que soient les sujets, d’ordre religieux ou non d’ailleurs.
La liberté individuelle d’avoir un enfant doit s’évaluer à l’aune des limites que pose notre société. Limites évolutives dans le temps, dont on peut discuter certes, mais qui doivent s’imposer une fois tracées.
La liberté individuelle de vivre sa religion doit de même s’interpréter en fonction des limites consenties par chacun, implicitement à la naissance en devenant citoyen ou plus explicitement plus tard au grès des débats. Par exemple, le « burkini » (vêtement de plage des femmes introduit récemment dans notre pays leur permettant de se baigner pour se conformer selon certains aux prescriptions de la religion musulmane) est-il le reflet d’une liberté individuelle ou d’une obligation plus ou moins avouée d’un commandement religieux supérieur aux règles communément admises de la vie en société… dans notre pays. Et son corollaire surtout, cette liberté individuelle vient-elle ou non bousculer et fragiliser le cadre qui nous rassemble tous en tant que citoyens d’une même Nation ?
Ces exemples n’ont pour seul objet que de tenter de mettre en évidence une méthode d’analyse des comportements des uns et des autres qui, au nom d’une liberté individuelle pourtant reconnue, peuvent venir heurter cet ensemble «Nation» auquel nous appartenons.
J’ai bien conscience d’effleurer le sujet seulement et peut-être d’énoncer des évidences, mais je crois que c’est bien la clé d’interprétation pour permettre à chacun de comprendre que la liberté individuelle, aussi importante soit-elle, ne peut pas tout justifier dans notre espace commun.
Voilà, je laisse le soin à d’autres de mieux formuler cette articulation entre liberté individuelle et Nation.
Patrick CLEMENT
Boulogne, le 24 octobre 2016